La Loire, un patrimoine immatériel à défendre

Dialogue Citoyen, dans Patrimoine, mémoire, Environnement, nature et Loire, le 2 décembre 2025

Comment valoriser et préserver la Loire en tant que patrimoine immatériel ? C’est la question qui anime le Conseil nantais du patrimoine (CNP), qui explore une approche novatrice inspirée par le projet “Vers une Internationale des Rivières”.

Le Conseil Nantais du Patrimoine (1), renouvelé en 2024, s’est donné pour mission d’examiner le patrimoine matériel et immatériel de Nantes et pourquoi pas à travers le prisme élargi du “vivant” ? La politique publique dédiée au patrimoine et à l’archéologie de la Ville de Nantes fait en effet sienne une vision élargie de la notion de patrimoine.

Le patrimoine au pluriel : une vision élargie

Au-delà des monuments historiques emblématiques que sont le Château des Ducs de Bretagne, le passage Pommeraye ou la Cathédrale Saint-Pierre, la Ville développe une conception large. Les “patrimoines vivants” englobent désormais le grand et le petit patrimoine, le patrimoine culturel immatériel, archéologique, mais aussi paysager, maritime et fluvial.

Au cœur de cette réflexion se trouve la Loire – dans son bassin versant et ses affluents jusqu’à l’estuaire, considérée comme un patrimoine immatériel essentiel. Comment valoriser et préserver ce fleuve face aux défis contemporains ?

Vue de l'Institue d'études avancées en bord de Loire


Le projet « Vers une Internationale des Rivières », porté par l’Institut d’études avancées (IEA) de Nantes, qui propose de conférer aux fleuves et rivières – et en particulier la Loire – un statut juridique et des droits propres, constitue une source d’inspiration pour le CNP. A l’occasion d’un atelier participatif “Lois à venir” sur le sujet (cf. encadré ci-dessous), ses membres ont ainsi rencontré le mois dernier  “le Conseil des témoins(2) du projet.

Atelier « Lois à venir » : se mettre dans la peau de députés

Lors d’un atelier participatif organisé à l’Institut d’études avancées (IEA) de Nantes en novembre dernier, les membres du CNP et du “Conseil des témoins” se sont prêtés à un exercice législatif : se mettre dans la peau de députés pour débattre de propositions de lois citoyennes rédigées par le Conseil des témoins sur les droits des rivières avec deux lois sur la Loire et une sur l’estuaire. « Nous sommes tous des sachants et des députés ce soir », rappelait l’animateur de l’atelier, invitant les participants à adopter le point de vue du vivant lui-même. Après une lecture de “l’exposé des motifs”, chacune et chacun ont été invités à demander des clarifications, à argumenter et à proposer d’éventuels amendements.
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« Vers une Internationale des rivières » : un projet inspirant

Le principe fondamental du projet “Vers l’Internationale des Rivières” est d'offrir un statut juridique à la nature pour assurer sa préservation, et la soustraire ainsi à une logique purement extractive ou d’exploitation. Pour faire respecter ces droits du vivant, le cadre juridique proposé repose sur une alliance entre le droit et l’expertise scientifique. Face aux tensions croissantes sur l’eau et aux menaces des intérêts miniers, nucléaires ou industriels, donner une personnalité juridique au vivant, c’est lui donner les moyens de se défendre.

À l’heure du réchauffement climatique et de l’érosion de la biodiversité, la gestion et la préservation de la ressource en eau sont cruciales. Un membre du CNP rappelle ainsi la vulnérabilité du fleuve face aux épisodes caniculaires : «  Il y a deux ans, nous avons frôlé la catastrophe avec une sécheresse intense, menaçant de faire remonter les eaux salées de l’océan dans les nappes phréatiques. »

“Vers une Internationale des Rivières” invite donc à décentrer son point de vue pour adopter celui du vivant non humain. L’idée s’inspire de démarches menées dans d’autres pays comme le Canada ou la Nouvelle-Zélande, où certains cours d’eau ont déjà obtenu une personnalité juridique. Le nom même du projet, évoquant l’Internationale ouvrière, n’est pas neutre, posant la réflexion sur le lien entre droits humains et droits du vivant. L’exploitation de la “force de vie” d’un fleuve, comme celle de la “force de travail” humaine, peut conduire à son épuisement, voire à sa destruction.

Vers un parcours articulant droits humains et droits du vivant

Pour Olivier Absalon, pilote du CNP et directeur de la Direction patrimoine et archéologie de Nantes Métropole, cette rencontre ouvre de nouvelles perspectives : «  C’est une nouvelle façon de voir les choses, une autre manière de penser qui vient nourrir notre réflexion. Se mettre dans la peau d’une entité naturelle oblige à adopter de nouveaux points de vue. Cet exercice souligne par ailleurs la nécessité de trouver des formes concrètes pour adresser le sujet du vivant au grand public, établissant un lien fort entre patrimoine matériel et immatériel.  »

Vue du Mémorial de l'abolition de l'esclavage en bord de Loire

Le conseil travaille actuellement sur un projet d’enrichissement du parcours de signalétique reliant le Château des Ducs au Mémorial de l’abolition de l’esclavage. L’intention est d’élargir cette réflexion aux droits humains et aux droits du vivant, d’autant plus que ce parcours longe le tracé de la Loire avant les comblements du XXe siècle. Le lien n’est pas fortuit : il existe un parallèle entre le passage d’objet à sujet de droits pour les êtres humains réduits en esclavage et pour le vivant aujourd’hui menacé.

Poursuivant cette réflexion prospective sur la manière dont le territoire peut repenser son rapport au vivant et à son patrimoine, «  le projet devrait prendre une forme concrète en 2027 sous une forme encore à trouver », conclut Olivier Absalon.

Crédits photos : Rodolphe Delaroque & Camille de Toledo pour Nantes Métropole

(1) Le Conseil nantais du patrimoine, renouvelé en 2024, réunit 17 membres aux profils variés : architectes, historiens, sociologues et experts. Cette instance de gouvernance ouverte vise à co-construire l’action publique avec les acteurs locaux et les citoyens, dans le cadre du Pacte de citoyenneté métropolitaine adopté en 2021.

(2) Le Conseil des témoins est composé de 12 citoyennes et citoyens dont la charge est d’acter et d’évaluer les étapes de ce récit de bifurcation.